On a l’opposition qu’on mérite, et les débats politiques qu’on peut. A défaut d’une droite trop occupée à identifier quel pingouin elle va bien pouvoir (re?)mettre en haut de sa pyramide hiérarchique – à moins que ses élus ne battent le pavé aux côtés des acharnés du papa-maman – le gouvernement socialiste et le parti du même nom se coltinent ces jours-ci, en guise d’adversaire, l’inoxydable Jean-Luc Mélenchon, fédérateur putatif de la gôchedelagôche, cet éternel chantier. La terne « position du gestionnaire » adoptée par le gouvernement Hollande ouvre il est vrai un boulevard à tous les procès en renoncement, genre dans lequel Mélenchon excelle.
Or qu’a finalement exigé, faute de laisser l’île déposer le bilan dans son coin, la fameuse « troïka-étrangleuse-de-peuples »? Rien moins que de ponctionner uniformément tous les dépôts bancaires supérieurs à 100 000 Euros. Et, ce faisant, de ruiner définitivement la réputation de place bancaire off-shore de Chypre tout en tapant dans les magots accumulé par des « épargnants » Russes, dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne sont pas tous d’honnêtes retraités. C’est sans doute involontaire de la part de ces messieurs-dames élevés au biberon Goldman-Sachs, mais le message envoyé implicitement à la face du monde est clair: les paradis fiscaux n’ont pas nécessairement un avenir dans la zone Euro, et la réputation des banquiers – sans parler du douteux argent russe – a somme toute moins d’importance que le portefeuille des contribuables européens.
Bref, si on y regarde à deux fois, il y a quelque chose de nouveau et d’intéressant dans la gestion de cette énième crise de l’Euro. Sans doute rien de bien « révolutionnaire »- l’établissement inopiné d’un impôt à la source, à défaut d’impôt tout court – mais rien non plus qui justifie d’entonner une complainte à la Theodorakis sur les méchants capitalistes qui se rient de la sueur et des larmes des petites gens. Bref, sur ce coup-là, Mélenchon aurait pu mettre sa trompette en sourdine voire – on peut rêver – se réjouir qu’un terme soit mis, fût-ce ponctuellement, à la farandole des capitaux et donc, quelque part, qu’un coup soit porté au sacro-saint libre-échange. Mais non.
Mieux: dans des propos dont on ne sait s’ils sont vraiment « on » ou franchement « off », le leader du Front de Gauche s’est laissé aller à fustiger Pierre Moscovici, qui ne « pense pas français, (…) il pense finance internationale ». Il est comme ça, Jean-Luc. Rien ne se mettra entre lui et l’occasion de balancer une invective dont il espère qu’elle fera le tour des médias. Fut-ce pour débiter une ânerie, en l’occurrence. Qu’on songe à la satisfaction de François Hollande revenant des négociations sur le futur budget Européen: il avait « sauvé » la PAC, ce machin bénéficiant principalement aux riches céréaliers de la Beauce, bref défendu bec et ongles les « intérêts français » – à tout le moins ceux de la FNSEA et de ses sponsors de l’industrie agro-chimique. Une « victoire française » qui doit sans doute beaucoup à l’énergie d’un Moscovici. Mais peu importe, l’occasion était trop belle d’opposer, dans un schéma qu’on avait un peu oublié depuis Georges Marchais, les défenseurs du « peuple français » face aux bradeurs social-traîtres de la production nationale.
Mais tout aussi surréaliste a été la réaction d’un Harlem Désir, au nom du PS, à cette mise en cause de Pierre Moscovici. Attention, a-t-il proféré en substance, associer le nom du Ministre des Finances, d’origine juive, à la « finance internationale », c’est plonger dans les remugles d’un antisémitisme « qui-nous-rappelle-les-pages-les-plus -sombres-de-notre-Histoire ». Ainsi donc Jean-Luc Mélenchon aurait « dérapé », comme on dit. A trop ouvrir sa grande gueule, l’imprécateur aurait laissé son inconscient – héritier lointain d’une certaine extrême-gauche française de la fin du XIXème siècle, dont l’anti-capitalisme s’accommodait fort bien des éructations d’un Drumont contre « la banque juive » – lui suggérer des associations douteuses. Ben voyons.
Il faut croire que le PS – à tout le moins celui censé porter sa voix – a atteint le degré zéro de la pensée politique pour énoncer de telles élucubrations. Il faut croire que la « position du gestionnaire » commence à devenir intenable et que faute de pouvoir (et vouloir) polémiquer avec le Front de Gauche sur le thème « si si, vous n’avez rien compris, le gouvernement fait vraiment une politique de gauche », on botte en touche et on cherche à dé-légitimer son bruyant leader. Et pour ça, rien de mieux qu’une accusation d’antisémitisme, fût-il « latent ». Amalgamez, mélangez tout et n’importe quoi, il en restera bien quelque chose. Accuser Mélenchon d’antisémitisme est à peu près aussi pertinent que de soupçonner Christine Boutin de consommer de la marijuana. Il eût été plus judicieux de souligner qu’à vouloir défendre à tout prix le « peuple chypriote », Mélenchon se fait en l’occurrence le porte-flingue d’un certain nombre de mafieux moscovites, qu’à fustiger les initiatives de la « troïka » à Chypre il se fait de facto le héraut d’une économie de casino, qu’il est inepte d’accuser Moscovici de ne pas défendre les « intérêts nationaux » quand on a vu l’empressement de ce dernier à soigner le lobby agricole. Bref, qu’à trop entretenir sa posture « révolutionnaire » et souverainiste, Mélenchon se prend les pieds dans le tapis et raconte des conneries grosses comme lui.
Encore faudrait-il qu’un Harlem Désir ait la faculté de réfléchir plutôt que d’ajouter du bruit médiatique au bruit médiatique, c’est sans doute beaucoup demander.
On a l’opposition qu’on mérite, et les débats politiques qu’on peut: Harlem Désir a Mélenchon, c’est à dire au fond bien peu, il l’accuse d’être antisémite, car au fond il peut peu.
See you, guys.